Loué soit mon coach !
Le boom du coaching gagne du terrain des grandes religions…Sans prosélytisme, des cadres reconvertis tentent de concilier monde du travail et spiritualité. Le Christ entraîneur de dirigeants et de cadres d’entreprises ?
« Quand j’ai entendu que l’on assimilait Jésus à un coach en entreprise, j’avoue avoir d’abord été choqué. Puis j’ai découvert que les paroles du Christ pouvaient m’aider à réfléchir que mon avenir professionnel. » Au détour de la quarantaine, Roger souhaitait faire le point. Ce conseiller en marketing en avait « assez de zapper d’une entreprise à l’autre » pour éviter de s’ennuyer. Il décide alors de faire appel à Coaching éthique. Sophie Soria, 45 ans, a fondé cette agence spécialisée dans l’accompagnement des cadres. Ce nouveau métier, inconnu du grand public, il y a encore cinq ans, vise à soutenir des personnes à un tournant de leur carrière. Ce service demeure largement financé par les entreprises pour des cadres de haut niveau, mais de plus en plus de particuliers y ont recours à titre personnel, malgré des séances à 150 € l’heure en moyenne. La profession est en pleine expansion : quelques trois mille coaches ont déjà déposé leur plaque. Ni thérapeutes ni conseillers du prince, ces entraîneurs d’un nouveau genre affirment pouvoir aider leur client à prendre conscience de leurs ressources en vue d’un changement précis. Ils proposent en général un parcours de cinq à dix séances, étalées sur quelques mois, avec des grilles pour mieux se connaître, des échanges et des mises en situation.
Lorsque Sophie Soria découvre que Roger est chrétien, elle ose faire référence à des enseignements du Christ. « Si le grain ne meurt, il ne peut porter des fruits », lui fait-elle ainsi remarquer. Les coaches adorent livrer des maximes sur lesquelles les clients peuvent s’appuyer. « Cette phrase m’a beaucoup aidé, confie Roger. J’avais besoin de faire le deuil d’un patron idéal que je cherchais en vain afin de me décider à me mettre à mon compte. »
Forte de cette expérience et de quelques autres, Sophie Soria publie aujourd’hui Un Coach nommé Jésus. (interéditions) « Dans l’accompagnement en entreprise, les citations du dalaï-lama ou d’auteurs appréciés des milieux New Age reviennent souvent », note-t-elle. Pourquoi ne pas s’inspirer plutôt du Christ ? » D’origine juive, notre coach s’est convertie au catholicisme il y a dix ans. Ancienne journaliste au mensuel Rebondir, spécialisée dans la reconversion professionnelle, elle a, elle-même, mené de front son initiation chrétienne et sa formation à ce nouveau métier, appris auprès de l’un des centres en pointe, le Dojo. « Les paroles de sagesse de Jésus constituent un programme de coaching à part entière, pour vivre en plénitude la vie surabondante, explique-t-elle. Il pratique la bienveillance, le non-jugement et l’affirmation de soi. Son questionnement sur le sens de la vie se traduit par des conseils utiles. » Bien entendu, Sophie Soria s’interdit toutes références explicites lorsqu’elle intervient en entreprise. Elle n’a expérimenté cette nouvelle méthode qu’avec des volontaires. « Je ne souhaite faire ni prosélytisme en douce, ni un accompagnement spirituel classique. Je préfère d’ailleurs parler de coaching lié à l’Evangile, valable pour un public croyant ou non », précise-t-elle.
Elle n’est pas la seule sur ce terrain. Alain Setton, 50 ans, exerce le métier de consultant en développement des ressources humaines, près d’Aix-en-Provence. Il a récemment publié un essai sur Bible et Management. Coïncidence, Alain Setton est lui aussi d’origine juive, et il s’est converti à la foi chrétienne il y a cinq ans. Désormais de confession orthodoxe, il puise, lui, dans les trésors de l’Ancien et du Nouveau Testament. « Une parabole comme celle sur le vin nouveau et les vieilles outres peut ouvrir les yeux sur les pratiques anciennes que l’on doit laisser tomber pour favoriser une nouvelle orientation de sa carrière », commente-t-il. S’il constate que certains cadres vivent une forme de desséchement spirituel à force de surinvestir leur travail, il préfère qualifier sa démarche d’éthique que de proprement spirituelle. « Dans le monde de l’entreprise, il y a encore une grande méfiance vis-à-vis des questions de foi, car l’on craint toute récupération sectaire », constate-t-il.
En refusant de s’aventurer sur une dimension plus explicitement spirituelle, ne s’arrête-t-on pas au milieu du gué ? Cette question a longtemps taraudé les
2 000 chefs d’entreprise réunis au sein des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC). Plusieurs membres ressentaient le besoin d’un suivi personnalisé, en dehors des réunions de l’une des 210 équipes présentes en France. Ils ont donc décidé de mettre en place un coaching spirituel et managerial avec Marie-Christine Bernard, 46 ans, dynamique sœur de la Retraite, une congrégation de spiritualité ignatienne.
« Certains dirigeants regrettent de ne trouver que des accompagnateurs spirituels connaissant mal le monde de l’entreprise, ou des coachs ignorant la dimension spirituelle. J’essaie de concilier les deux en regardant comment Dieu travaille pour libérer les sources vives de chacun », déclare-t-elle. Comme de nombreux coaches, cette religieuse a un parcours professionnel atypique. Le sien l’a conduite du métier d’assistante sociale à l’enseignement de la théologie à la faculté catholique d’Angers. Depuis qu’elle a commencé cette nouvelle activité, il y a cinq ans, elle reçoit trois types de demandes. D’abord des chefs d’entreprises, dont la société se porte plutôt bien et qui éprouvent le besoin de lever le nez du guidon pour discerner ce que pourrait être la volonté de Dieu pour eux. Ensuite, des dirigeants qui se trouvent à un tournant de leur carrière et veulent être accompagnés pour découvrir ce qui peut être le plus profitable à leur projet. Enfin, un dernier tiers, confronté à une période critique, souvent un plan social, parfois la perspective d’un dépôt de bilan. Ces derniers viennent la voir parce qu’ils « essayent de ne pas s’enfermer dans une logique seulement comptable et se demandent ce que Dieu attend d’eux dans cette situation », estime-t-elle.
Jean-Marie Thierry, 43 ans dirige un réseau de transport de bus dans la région parisienne. Il a fait appel à Marie-Christine Bernard après avoir géré une grève de douze jours. « Je m’interrogeais sur mon style de management. J’avais l’impression que lorsque j’avais expliqué les choses une fois, tout le monde avait compris », se souvient-il. Au programme : six séances de deux heures avec un cocktail de jeux de rôles, d’échanges et de dessins. « Elle ne se contente pas d’accompagner, elle creuse », résume-t-il. Une fois, Jean-Marie Thierry et Marie-Christine Bernard ont lu un passage de l’Evangile de Jean, mais la Bible n’est pas le passage obligé de cet accompagnement. « J’y ai certainement gagné un plus grand respect des autres dans mes relations au travail, sans pour autant chercher à mettre de l’affectif partout sous prétexte que je suis chrétien. »
A l’approche de la cinquantaine, HENRI Nijdman, directeur d’une agence de communication à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), a ressenti une certaine lassitude. « J’avais fondé ma société il y a 25 ans et je songeais à la vendre pour passer à autre chose. » Après cinq séances de deux heures, il analyse : « J’ai surtout apprécié la variété des sujets abordés, sur mon rapport à l’argent, ma responsabilité de chrétien face aux salariés, mon souhait de retrouver une certaine unité de vie. » Au terme de cette introspection, il découvre qu’il a surtout envie de ne plus subir certaines choses. Plutôt que de vendre, il décide d’associer ses principaux collaborateurs au capital et de travailler à mi-temps ! « J’ai retrouvé depuis le goût de m’investir dans mon entreprise et je dispose de temps pour réfléchir à une reconversion personnelle. »
Cette nouvelle forme de suivi cherche encore. Elle apparaît alors que le coaching classique en entreprise cherche un second souffle. Quelques cinq cents nouveaux diplômés débarquent chaque année dans un marché déjà saturé. En réalité, peu encore vivent de ce nouveau métier. Le coaching spirituel et managerial peut-il constituer une niche rentable, permettant de se distinguer de la masse ?
« Il n’y a pas encore de marché », considère Marie-Christine Bernard, qui songe à proposer une formule plus grand public pour des cadres non dirigeants. A 2400 € hors taxes, plus les frais de déplacement, les tarifs semblent encore loin de la pauvreté évangélique ! La demande existe pourtant bel et bien. Ces dernières années, dans le domaine de la psychologie, des thérapies dites brèves sont venues concurrencer les psychanalyses jugées souvent trop longues et peu efficaces. Le suivi spirituel court, à mi-chemin entre la confession ponctuelle et l’accompagnement des âmes, fait désormais partie de cette offre.
CHRISTIAN SEYTRE, Pasteur pentecôtiste, ancien secrétaire général de la Fédération protestante (FPF), il a décidé de se lancer dans l’accompagnement de ses confrères. « Avant d’entrer à la Fédération, j’ai longtemps exercé comme psychothérapeute, explique-t-il. J’intervenais alors auprès de certains dirigeants d’entreprises pour faire ce que l’on n’appelait pas encore du coaching. » Désormais, il préfère mettre ses compétences au service de pasteurs dirigeant des institutions protestantes, des associations caritatives, etc. « Ces pasteurs ont parfois besoin d’un regard extérieur pour gérer au mieux des changements avec leurs équipes. » Sa bonne connaissance des Eglises protestantes présente certainement un atout. « Mais je souhaite m’en tenir à des considérations manageriales, sans aller sur un terrain plus spirituel. J’aurais trop peur d’instrumentaliser la Bible », précise-t-il.
Article de La Vie N° 3118 / Par Etienne Séguier