Paul Gosselin
Son premier ouvrage « Hors du Ghetto » porte un regard évangélique sur la Culture et les Arts. Pour ceux qui connaissent peu la culture évangélique, cet essai leur permettra de voir la chose de l'intérieur et de comprendre l'effort de l'évangélique pour intégrer démarches artistiques et prises de position éthiques, édifiées sur la fondation des enseignements de Jésus-Christ. Au travers de cette entrevue, Paul Gosselin nous offre un aperçu du contenu enrichissant de son livre. Chrétien évangélique depuis 1975, il détient une maîtrise en anthropologie sociale. Après avoir vécu en Nouvelle Ecosse, en Californie et sur l’île de Vancouver, il s’est installé au Québec.
Interview :
« Dès les premières pages de votre livre, vous pointez du doigt les églises évangéliques pour leur refus de l'art et de la créativité… Quelle est la cause de ce manquement ? »
« C’est en partie dû à une réaction de rejet et de marginalisation qu’ont subie les évangéliques dans la première moitié du XXe siècle, lorsque l’influence sociale de la vision du monde judéo-chrétienne était en déclin presque partout en Occident. Un très grand nombre d’élites se sont alignées avec des idéologies matérialistes. Et de ce rejet, les églises évangéliques ont rejeté à leur tour, cette culture élargie qui de plus en plus affirmait des valeurs en contradiction avec la Parole de Dieu. C'était une période pénible. Période de guerres, d’instabilité économique et montée de diverses idéologies impitoyables ancrées dans la vision du monde matérialiste. Il fallait d’abord survivre. Ce rejet de la culture élargie était aussi accompagné d’une attitude piétiste, où la vie chrétienne était réduite aux activités de liturgie et d’évangélisation. Dès lors, les activités culturelles et intellectuelles étaient perçues comme mondaines. »
« Il ne sert à rien d’être plus spirituel que Dieu ! »
« Vous citez l'exemple du Rock, qui pour certains est un désir malsain, ou pire encore, une musique satanique… Quelle est l’origine de cette conception ? »
« Le rejet de la musique Rock tient en partie à des conceptions résiduelles néo-platoniques, mais il est lié aussi à quelque chose de plus banal. Le Rock est un style musical que l’on a rejeté simplement parce qu’il n’est pas celui ayant cours dans les églises évangéliques [au milieu du XXème siècle]. On n’en avait pas l’habitude. Sur le plan technologique, les évangéliques n’ont pourtant pas craint d’exploiter toutes sortes de moyens de communication nouveaux (imprimerie, radio, télévision, micros, systèmes de son, etc.), mais sur le plan artistique, à bien des égards, on a bloqué en 1950 (sinon 1850). C’est la peur du nouveau, qui peut affecter n’importe quelle culture, non pas uniquement les évangéliques. Puisque le Rock ne faisait pas partie de la culture à laquelle s’identifiait les évangéliques du milieu du XXème siècle, on l’a vite affublé de l’étiquette musique du monde, sans chercher plus loin et sans chercher à vérifier si ces concepts de musique du monde ou de musique satanique avaient une quelconque légitimité dans les Écritures. »
« Dans votre livre, vous évoquez également un étrange paradoxe. Le chrétien semble rejeter tout ce qui n'est pas 'spirituel', alors que Dieu s'intéresse au corps humain jusqu'à en compter le nombre de ses cheveux ! Quel travail doit-on accomplir pour que le chrétien se réconcilie avec le corporel ? »
« Doit-on se comporter en ascètes ? Dieu doit penser parfois qu’on a un sérieux penchant à jouer les clowns… J’aime bien la boutade de CS Lewis à ce sujet : « Il ne sert à rien d'essayer d'être plus spirituel que Dieu. Celui-ci n'a jamais voulu que l'homme soit une créature purement spirituelle. C'est pourquoi il se sert de choses matérielles telles que le pain et le vin, pour maintenir la vie nouvelle en nous. Nous pensons peut-être que ceci est grossier et sans spiritualité, mais ce n'est pas le cas ». Dieu a inventé le boire et le manger et il aime la matière qu'il a créée. »
« Vous dénoncez par ailleurs la source d'inspiration de la culture évangélique, qui contrairement à ce qu’indique son nom, ne s’appuie pas seulement sur les Evangiles ou la Bible, mais prend en compte des convictions humaines en tous genres… »
« Effectivement ! C’est inévitable d’ailleurs. Ce n’est pas l’identification à sa culture d’origine qui pose problème en soi. On ne peut éviter totalement de s’identifier à notre génération. Christ, lorsqu’il est venu, s’est incarné dans la culture hébraïque de Palestine sous le règne de César Auguste. Et Lui l’a fait parfaitement. Nous, nous sommes tous sujets à des formes diverses d’idolâtrie et de compromis. Nos comportements/attitudes sont donc sujets à critique et à remise en question, sur le plan individuel aussi bien que corporatif. »
« Ce qui est fondamental, c’est la Parole de Dieu et non pas nos moyens de communication, notre liturgie, nos manies, notre jargon évangélique, etc. »
« La culture évangélique, découlant de l'histoire et de la situation géographique d'une église, peut-elle devenir étouffante pour ceux qui ne s'identifient pas à celle-ci ? »
« C’est toujours une possibilité. Il y a là le réflexe de faire de la culture de sa génération, une véritable idole ! Chaque génération, dans le cours du temps, doit faire face à cette forme de mort, où une nouvelle culture monte, enrichie, et graduellement remplace celle des générations précédentes. Et lorsque l’identification à une culture est trop forte, cela peut constituer un obstacle important et réel pour l’évangélisation. Il faut être sensible à cette réalité. D’un autre côté, si l’amertume s’installe chez les jeunes générations de chrétiens, cela peut aboutir à un rejet catégorique de tout ce qui est perçu comme vieux. Et si cela arrive, tous en sortent plus pauvres à l’autre bout. L’amertume, liée à des attentes déçues, est une arme épouvantablement efficace de l’Ennemi dans notre génération. »
« Lors d'évangélisations, vous parlez de conversions à l'Évangile, mais aussi à une culture particulière, en est-il encore ainsi ? »
« On ne peut pas vraiment l’éviter... Mais celui qui évangélise peut toujours garder à l’esprit une certaine relativisation de sa culture. Ce qui est fondamental, c’est la Parole de Dieu et non pas nos moyens de communication, notre liturgie, nos manies, notre jargon évangélique, etc. On peut garder à l’esprit la maxime de l’apôtre « Avec les Juifs, j'ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi (quoi que je ne sois pas moi-même sous la loi), afin de gagner ceux qui sont sous la loi; avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi (quoi que je ne sois point sans la loi de Dieu, étant sous la loi de Christ), afin de gagner ceux qui sont sans loi. » (1C 20-21) »
« On a adopté non seulement les habitudes vestimentaires des milieux d’affaires, mais aussi des attitudes de gestion d’entreprises… »
« Vous évoquez la nécessité d'un tri culturel, à quel niveau doit-il être effectué selon vous ? Au niveau personnel ou communautaire ? »
« Les deux, mais il ne faut pas en faire des complexes. Il est sain que chaque génération fasse ce tri. Ce processus est lié à la directive : " Examinez toutes choses; retenez ce qui est bon; abstenez-vous de toute espèce de mal " (1Thess. 5: 21-24) Dans le réel, il est toujours plus facile de voir les défauts d’une culture que l’on n'apprécie pas, que de remettre en question celle que l'on prise. »
« La notion d' " Evangélique Inc. " est intéressante, pouvez-vous développer cette identification datant du début du XXème siècle ? »
« Cette notion est liée à un stade historique du mouvement évangélique. Le symptôme/symbole le plus courant c’est l’évangéliste/pasteur en habit trois pièces. Vu le rejet des évangéliques par la culture élargie, les évangéliques se sont fortement identifiés à un segment de la population qui semblait un peu plus favorable à leur égard. Mais l’habit n’est qu’un aspect mineur. On a adopté non seulement les habitudes vestimentaires des milieux d’affaires, mais aussi des attitudes de gestion d’entreprise qui ont été plaquées, sans remise en question sérieuse, dans nos églises. Ce qui a comme résultat de voir l’église comme une entreprise où le nombre de convertis remplace le chiffre d’affaire. Mais il faut être clair, cette question se pose à chaque génération de chrétiens : Quels compromis ferons-nous auprès de la génération qui nous entoure pour être perçus comme acceptables, admissibles, cools et dignes d’attention ?»
« Au sein de votre ouvrage, vous évoquez la Pensée Positive Chrétienne (PPC). Pour quelles raisons qualifiez vous cette pensée de dérive et de perversion de la vérité ? »
« Mon jugement sur ce mouvement est sévère. Il reste que le temps qui passe rendra son verdict. Pour ma part, je vois deux problèmes sérieux. D’abord, il implique une transposition malhabile, en termes évangéliques, du rêve américain du succès. Plutôt que de remettre en question ce droit au bonheur et au succès que présuppose la culture environnante, on a plutôt choisi d’adapter l’Évangile… D’autre part, la PPC implique une ignorance catastrophique du concept judéo-chrétien de la Chute et du concept dérivé que le chrétien aussi vit dans un monde déchu. Mais la Chute n’est pas un concept très marketing et très vendeur. Dans les faits, cet évangile a contribué énormément à générer des attentes irréalistes chez un très grand nombre de chrétiens évangéliques de notre génération. On a le droit d’être heureux ! Nous dit-on… J’en sais rien. Que diraient Job, Jérémie, Étienne ou l’apôtre Paul à ce sujet ?? Notre Seigneur a dit (en Matt 25: 21) C'est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître. Et non pas : C'est bien, bon et fidèle consommateur; tu as joui de peu de choses, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître.»
« Votre livre, incontestablement très riche sur le sujet de la culture, pourrait amener de nombreuses questions encore... Mais comme vous l'écrivez également, ''puisqu'il faut conclure'', terminons sur cette exhortation adressée aux évangéliques et aux artistes chrétiens de quitter leur ghetto… »
« Je souhaite que mon livre puisse servir d’étincelle pour encourager la créativité, ainsi que la réflexion sur la place des arts et de la culture en milieu chrétien. Un très grand nombre de moyens d’expression s’offrent à notre génération. Espérons que dans les années à venir des chrétiens solides, enracinés dans l’Eglise, pourront développer et maîtriser de nouveaux moyens d’expression, rayonner dans leur milieu et toucher la génération qui nous entoure. »
Interview publiée avec l’autorisation de Paul Gosselin et réalisée par Paul Ohlott pour le site www.topchretien.com, rubrique topinfo.
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Pour aller plus loin : Gosselin, Paul. – Hors du Ghetto -. Québec : Samizdat, 2005, 383 pages.
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