PICASSO, Pablo (Espagne, 1881-1973)
(1932, Le rêve, Collection privée, New York)
Je retiens de Picasso cette phrase "géniale", qui a souvent été pour moi une sorte de guide, de balise ou de repère, dans bien des situations qui dépassent le cadre de la peinture ou de la création artisitique :
" Je ne cherche pas, je trouve ! "
N'est t'il pas dit de Picasso qu'il n'élaborait pas ses couleurs avec subtilités, mais qu'il pressait les tubes de peinture avec une impatience quasi pulsionnelle, dictée par la pression de la créativité et de l'inspiration, posant ainsi avant l'heure le concept de l'Action Art, cet art de l'instant, cet art du mouvement, ce corps à coeur entre l'artiste et sa toile. Combat sans compromis, qui ne tolère pas d'être entravé par des contingences académiques ou des théories momifiantes...
Et pourtant, quelle quiétude dans ce portrait d'une "femme qui rêve". Peut-être s'est-elle endormie à son insu, dans un moment de calme, d'abandon, invitant à une sieste sans complexe... Le relachement de sa pause alanguie, et son sourire tellement serein, suggèrent un véritable instant de bonheur, immortalisé par le peintre qui semble lui-même hypnotisé par cette icône de "bien-être", par cette belle réveuse... qui fait rêver ! Quel bonheur dans ce visage abandonné, traité dans une posture "plastique" un peu extrême, un peu caricaturale, il est vrai. Cet étrange angle droit entre le cou et le visage, pourrait donner un sentiment de rupture, de cassure, voire même de tension. Sans parler des 2 mains jointes : est-ce une prière entamée, interrompue par une torpeur inattendue, ou une posture lascive, avec ce sein plantureux dévoilé aux regards de tous?
A chacun de trouver dans cette toile ce qu'il y cherche !
A priori, et sans vouloir ouvrir de poémiques sur le sens de cette oeuvre, nous sommes ici exposés (car les toiles s'exposent, mais elles nous exposent également), et confrontés de prime abord à une image de sieste et de repos, qui confine d'ailleurs à l'iconographie. On pourrait quasiment parler de "hiératisme"... Cette adjectif, hérité du XVIe siècle et emprunté (par l'intermédiaire du latin) du grec hieratikos, parle du « prêtre et des usages sacrés ». Et oui, la boucle est vite bouclée, qui mène du profane au sacré, alors que dans cette toile, un sein légèrement évoqué par transparence nous évoque ces peintures de madones (vierges à l'enfant) du moyen-âge, qui à l'époque étaient les seules figurations officieusement érotiques accessibles au public. Bien sûr, on est loin de tout ce qui est désormais à portée de vue (ou de porte monnaie) dans nos kiosques à journeaux. Clara Morgane, et son calendrier annuel dans tel ou tel magazine, ne sont pas sur le même registre que les représentations de la vierge dans l'histoire de l'art pictural académique et religieux Heureusement d'ailleurs ! Et Picasso est sans conteste un vrai peintre respectueux et pudique, lorsqu'il nous fait le cadeau visuel de cette belle femme offerte à "l'insu de son plein grès" dans ce moment de douce sieste, de repos bienheureux...
Car il ne faut pas se voiler la façe, de nombreuses "vierges à l'enfant"' dévoilent un sein nourissant parfois bien dénudé, qui a dû à l'époques stimuler la libido d'un certain nombre de braves paroissiens de sexe masculin, qui rentraient peut-être de la messe du dimanche légèrement émoustillés par tant de rondeurs. Tant mieux pour leurs dignes épouses, qui ne devaient sans doute pas se plaindre de ce regain d'énergie et de désir de la part de leurs nobles et pieux époux ! Comme quoi, la messe a du bon :-)
On pourrait objecter que le sein de la vierge Marie est un " saint sein ", ou un "sein sacré". Mais dans ce cas, on n'est pas loin de dire qu'elle avait une "sacrée paire de seins", ce qui toucherait au basphème (ou au compliment). Donc, nous nous abstiendrons de ce genre de jeux de mots laids (" jeux de mollets "), pour ceux qui auraient le cerf-volant, ou plutôt... le cerveau lent....
Mais revenons à des propos plus sérieux ! Cette oeuvre de Picasso nous parle de bonheur, de ces bonheurs simples que nous nous autorisons... lorsque nous ne nous les interdisons pas. Savoir s'arrêter, être bien, se poser, oublier l'agenda, le planning, le stress. A moins qu'il ne s'agisse d'une éloge féminine de la paresse ? J'en doute, car cette belle alanguie n'est pas une figure avachie, désolante, ou ennuyeuse. Au contraire, elle est saine, vigoureuse, et nous renvoie un message fort, une question ouverte et récurente : qu'est-ce que nous nous autorisons ? Dans un contexte de tumulte conjoncturel, de course contre la montre, de journées épuisantes qui s'ajoutent à d'autres journées vécues à 100 à l'heure, quelle est notre capacité à dire : " Stop ! Je m'arrête, je me laisse aller, je pense à moi... J'oublie le chrono, les pressions, la vie pressante et trépidante (toutes ces choses à faire, à organiser, à planifier), et je m'abandonne, j'oublie, j'existe.. ."
Dans ce moment de repos intime, pourtant saisi au vol par le peintre comme une image indiscrète, non pas volée, mais renvoyée, repercutée, transmise, affichée, offerte... un cadeau nous est proposé, en cette époque où plus que jamais nous avons besoin d'oser nous permettre le luxe de moments d'oisiveté, de plaisir, de bien-être sans complexe. "Car la loi et les prophètes ne sont pas contre toutes ces choses..."
Et même si tel était le cas, je vous en conjure, dans le "saint nom de Picasso", ne vous privez pas de ces temps de recul, de lâcher-prise, de repos bien mérité, dont nous avons tant besoin ! Larguez les amarres, et entrez pleinenement dans cette leçon de bonheur simple et à portée de main à laquelle Picasso nous invite, dans un geste d'humanité picturale d'une rare simplicité, dans un hommage magnifique et indicible (parce que non-dit) à la noblesse d'une fée peu fréquantable, et pourtant pleine de charme : la Fée Néantise...
Seigneur, " Que ta volonté soit fête! " ....et repos !
Patrick GHEYSEN, pour paraboles.net Tous droits de reproduction réservés.
Picasso : son parcours
Le parcours artistique de Picasso est l'un des plus riches de toute l'histoire de l'art du XXe siècle. Tour à tour enfant prodige, peintre maudit, artiste mondain, sculpteur, graveur, céramiste, il collabore à presque tous les grands mouvements et tendances qui ont contribué à redéfinir les pratiques artistiques.
Au début du siècle, il invente en compagnie de Georges Braque de nouvelles conventions picturales pour représenter l'espace de la perception, le cubisme . Dans les années 20, il participe au mouvement de « retour à l'ordre » qui réévalue l'héritage académique, puis renoue avec les avant-gardes en se rapprochant du surréalisme , auquel il apporte de riches innovations dans le domaine de la sculpture. Il réalise aussi bien de menus objets de papiers pliés, des jouets pour amuser ses enfants, des céramiques, des lithographies qui illustrent les livres de ses amis poètes, que des monuments publics ou des toiles immenses comme Guernica . À la fin de sa vie, il pose les bases d'un expressionnisme ludique, cocasse et provocateur, au style volontairement négligé qui se veut le témoin d'un appétit de vivre, repris en France dans les années 80 notamment par Robert Combas du mouvement de la figuration libre .
Cette œuvre hétérogène témoigne de la vitalité d'un touche-à-tout spontanément artiste qui intègre tout ce qu'il aime à son art : non seulement ses compagnes, ses enfants, mais aussi le cirque, la tauromachie, l'Espagne, la politique… jusqu'aux objets de pacotille soigneusement conservés que l'on retrouve assemblés dans ses sculptures.
À l'image de sa vie personnelle aux multiples tournants, sa carrière artistique se constitue d'étapes, toutes ponctuées d'incertitudes et de crises finalement surmontées qui le conduisent à de constantes innovations. Picasso a contribué à toutes les inventions esthétiques de son siècle, sans doute parce qu'il a eu le talent d'être toujours de son temps, de se remettre en cause, et de tourner la page d'une recherche achevée pour tenter d'autres aventures.
Commentaires :
Titre de l'article : Picasso Nom ou Pseudo : Pierre de Bezeu Pays : France Saint Pierre et Miquelon Réaction : Ben moi, j'y crois pas, c'est incroyable de voir une toile de la vierge Marie aussi provocante. A force de s'habituer et de penser que c'est juste religieux, on ne capte même plus l'impact de l'image. Et là, c'est vrai : c'est assez osé en fait, comme si l'artiste, qui à l'époque ne pouvait faire que du "religieux", s'était vraiment lâché. Et au final, ça se retrouve accroché dans une église, pour inviter les gens à la prière. Très paradoxal ! A côté de ça, c'est clair que Picasso passe comme une lettre à la poste, avec ce sein à peine dévoilé, tellement pudique, tellement diaphane, évoqué, mais non pas pas exposé. On est loin de l'entreprise de " lactation " que symbolise cette toile de la "Madonne à l'enfant". En plus, si je puis me permettre, l'enfant jésus y ressemble plutôt à un petit vieux rabougri, pas très épanoui, une espèce d'adulte déguisé en poupon. Etait-ce les régle picturales de l'époque ? Quoi qu'il en soit, je trouve la peinture de Picasso plus "spirituelle", dans le sens où elle m'ouvre des possibles désirables, alors que cette toile religieuse de la nativité me fout les boules :-) Pierre de Bezeu