Boris Cyrulnik
Conférence de l’AUP / entretien avec Boris Cyrulnik : Le pire n’est jamais sûr...
La vie aurait pu les fracasser mais ils sont « retombés sur leurs pattes » et ont mené une vie d’homme et de femme « normaux ». Ils sont ceux qu’on appelle aujourd’hui les individus résilients, une notion apparue il y a une dizaine d’années et développée par Boris Cyrulnik, neuropsychiatre. Il était invité récemment par l’Aumônerie Universitaire Protestante de Strasbourg.
Comment se libérer de la souffrance psychique ? Pour travailler sur le phénomène de la résilience, Boris Cyrulnik, neuropsychologue et directeur de recherche à l’université de Toulon fait appel à la biologie – quelles sont les caractéristiques génétiques des enfants résilients ? -, à la sociologie – dans quel contexte social ont-ils grandi ? – et à la psychologie – sur quels nœuds familiaux a-t-il fallu travailler ? Son discours a des accents de grâce laïque .
Interview :
Vous utilisez souvent l’expression « tricoter sa résilience »…
La résilience, c’est la capacité de mettre en jeu des mécanismes de défense pour rebondir quand on a été confronté à des événements très graves. Ce n’est pas le bonheur tranquille, c’est une stratégie de survie, un processus naturel qui se tricote tout au long des années avec mille déterminants que nous essayons d’analyser (sentiment de soi, discours social, contexte culturel, etc.) On observe parfois chez ces enfants blessés et vulnérables que si un seul milieu défaille, tout s’écroule. On échoue à un examen, on rompt une relation, et c’est l’effondrement. Mais si un seul point d’appui est offert, la construction reprend. On a loupé le coche, on n’a pas attrapé un fil de résilience ? Tout n’est pas joué avec ce « fil », il y en a d’autres qu’il est possible d’attraper. Un enfant traumatisé peut s’en sortir s’il trouve autour de lui des tuteurs de résilience, ou, pour utiliser encore une autre image, si quelqu’un souffle sur des braises de résilience qui vont le réchauffer et le réanimer.
Comment être un tuteur de résilience efficace ?
La résilience, c’est la capacité de mettre en jeu des mécanismes de défense pour rebondir quand on a été confronté à des événements très graves. Ce n’est pas le bonheur tranquille, c’est une stratégie de survie, un processus naturel qui se tricote tout au long des années avec mille déterminants que nous essayons d’analyser (sentiment de soi, discours social, contexte culturel, etc.) On observe parfois chez ces enfants blessés et vulnérables que si un seul milieu défaille, tout s’écroule. On échoue à un examen, on rompt une relation, et c’est l’effondrement. Mais si un seul point d’appui est offert, la construction reprend. On a loupé le coche, on n’a pas attrapé un fil de résilience ? Tout n’est pas joué avec ce « fil », il y en a d’autres qu’il est possible d’attraper. Un enfant traumatisé peut s’en sortir s’il trouve autour de lui des tuteurs de résilience, ou, pour utiliser encore une autre image, si quelqu’un souffle sur des braises de résilience qui vont le réchauffer et le réanimer.
Et quand un enfant traumatisé est devenu adulte sans avoir trouvé sur son chemin des branches auxquelles se raccrocher… c’est trop tard ?
Je dis toujours qu’on peut commencer à douter de la résilience après l’âge de 120 ans ! On peut travailler à tout âge et je dis bien travailler, pas espérer. Car il n’y a de l’espoir que si on travaille. Les apprentissages sont toujours possibles mais, avec l’âge, de moins en moins rapides…
Dans l’histoire d’une vie, dites-vous, on a un problème à résoudre. Encore faut-il l’identifier, ce problème !
Plutôt que de problème, je parlerai de thème. Je pense en effet que toute notre vie est une variation autour d’un thème qui peut être par exemple, chercher l’affection ou chercher un père ; prendre sa revanche ; se cacher des autres… On découvre ce thème petit à petit, pas forcément en faisant une psychothérapie, mais dans tout ce qui donne à penser et fait sens : la littérature, le théâtre, la lecture de journaux, la rencontre avec quelqu’un, un événement signifiant…
A lire vos livres, on constate que les nœuds et les difficultés de l’enfance agissent parfois comme un moteur dans la poursuite du bonheur. On ne va tout de même pas se souhaiter des traumatismes !
Non, car le traumatisme, c’est la mort psychique. Mais il faut se souhaiter des épreuves. Le malheur fait baisser la tête, l’épreuve la relève. Car une épreuve culturellement et rituellement accompagnée – c’est-à-dire lorsque d’autres vous entourent affectivement et vous permettent de trouver un sens à ce que vous vivez - nous apprend un sentiment de victoire. Une vie sans épreuve, c’est l’eau tiède, ça nous apprend la vulnérabilité et la désidentification.
« C’est à la culture de souffler sur les braises de résilience » écrivez-vous. Sur le plan politique, les résultats de vos recherches sont-elles prises en compte par tous ceux qui travaillent aux diverses réformes ?
Elles sont très prises en compte par le ministère des familles, notamment pour ce qui concerne la structure des petites années : l’encouragement pour le nouveau rôle des père, la prise en charge des enfants des rues et de la délinquance… Le Ministère de l’Education aimerait en tenir compte, mais ça provoquerait de tels remous sociaux qu’il n’ose pas. Les enfants ne sont pas plus bêtes qu’avant et sont même, à mon avis, plus précoces et mieux développés. Les enseignants sont aussi compétents sinon plus. Pourtant, l’école ne va pas bien.
L’Unesco a fait une enquête, ce sont les coréens et les hongrois qui viennent en tête des résultats scolaires, avec pourtant plus de 40 enfants par classe. Le problème ne vient pas d’où on pense… Nos rythmes scolaires sont aberrants et empêchent d’apprendre. Certains parents tiennent un discours qui dévalorise l’école. Dans les IUFM (Instituts Universitaires de Formations des Maîtres), on continue à dire aux élèves enseignants qu’il ne faut pas établir de relations affectives avec les enfants. Or, si on n’entoure pas un enfant d’affection… pour qui voulez-vous qu’il travaille ? Il faudrait changer le sens de l’école, comme dans Etre et Avoir, le film de Philibert.